"Des chevaliers dont le pouvoir s’étend sur une paroisse. La chevalerie est un statut que revêtent les comtes, les vicomtes, les grands seigneurs au xie siècle. Mais ils ne sont pas les seuls à arborer un tel titre. Il est également porté par des individus au rang plus modeste. Il y a d’abord des seigneurs, certes puissants, mais dont le statut social est légèrement inférieur à celui des seigneurs châtelains. Citons, en exemple, les Goranton/Hervé de Vitré, les d’Aubigné dont l’ancêtre était Raoul le Large, les Rougé (en Soulvache) possédant une fortune considérable autour de Châteaubriant. Mais la plus grande partie des chevaliers est représentée par ces quelques centaines de groupes d’individus dont l’influence ne dépasse guère le territoire d’une paroisse. Leur nom est souvent suivi d’une indication toponymique permettant de les localiser. Les milites de Cherrueix sont liés à la paroisse de ce nom tout comme les La Ville Cuite habitant un manoir à motte, sis en Saint-M’Hervé. Ainsi, du xie au milieu du xiiie siècle, chaque paroisse comprend en moyenne un à trois groupes de chevaliers. Ceux mentionnés aux xie et xiie siècles demeurent essentiellement dans un manoir à motte. D’autres, apparaissant dans les actes à partir de la fin du xiie siècle, logeaient dans des habitats dont la structure, mal connue pour les xiie et xiiie siècles, correspond également, quelques centaines d’années après, à des manoirs.
"Une chevalerie de haut rang et appartenant indéniablement à la noblesse existe bel et bien dans le Rennais au début du xie siècle. Elle décore les comtes et les seigneurs châtelains. Cependant, l’historien est confronté aux non-dits des sources. Souligner la noblesse ou la chevalerie d’un comte relève presque du pléonasme. De même, l’expression « nobilis miles » ne se rencontre presque jamais car elle est redondante. Mais la chevalerie la plus nombreuse est celle dont le pouvoir s’étend sur une partie ou sur quelques paroisses. Ces individus habitent fréquemment après 1050 un manoir à motte, ce qui constitue un signe ostentatoire de leur rang social. Ils occupent en effet une place de choix au sein de la paroisse et y sont qualifiés de « viri fortes et parrechiani » ou de principaux de la paroisse. En deçà, les marges de la chevalerie restent plus difficiles à cerner et il faut prendre garde à ne pas interpréter trop hâtivement certains profils d’individus. Cependant, peut-on pour autant refuser toute ouverture de la chevalerie vers des individus d’origine plus modeste. Sans renouvellement, cette dernière n’aurait pas été aussi vigoureuse. D. Barthélemy montre que les franges inférieures de la noblesse et de la chevalerie sont mouvantes au xie siècle. Elles le sont tout autant aux xve et xvie siècles. Le problème majeur de nos sources est de ne pas le mettre en évidence car, témoigner dans un acte, c’est déjà posséder un peu de notabilité."
"La chevalerie bretonne et la formation de l'armée ducale 1260-1341", Frédéric Morvan, PUF
"Les études sur la Bretagne de Noël-Yves Tonnerre et de Michel Brand’honneur ont révélé l’existence, à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, de tout un monde de cavaliers de basse extraction, qui, semble-t-il, se hissèrent au rang de chevalier après une évolution de plus d’un siècle et demi. D’après ces deux chercheurs, ils seraient issus de ministériaux, d’agents seigneuriaux chargés de responsabilités administratives (dont on soupçonne parfois une origine servile), de forestiers, de prévôts, de sergents féodés, de milites castri, de cavaliers non fieffés attachés au service d’un maître du château. Ainsi, il est possible de penser qu’il y eut surtout à partir du milieu du XIIe siècle un élargissement du monde chevaleresque grâce à un phénomène de promotion sociale lié au chasement d’hommes d’armes mais aussi à l’essor économique que connut tout l’Occident chrétien."
"Enfin, se dessine une masse importante de chevaliers et d’écuyers, propriétaires fonciers, vassaux des précédents mais aussi des établissements ecclésiastiques, voire du duc en personne, disposant sans doute seulement d’une maison forte, d’une ferme fortifiée, ou d’une motte dite féodale installée en périphérie de finage, ce qui leur permettait d’avoir assez de moyens financiers pour porter les armes."
"les chevaliers non-nobles ne sont pas tout à fait inconnus : Alcuin évoquait déjà des milites ignobiles et l'expression revient ensuite ici et là, à propos de ceux que l'on dit aussi milites gregarii. Mais c'est que les limites inférieures de la noblesse sont floues, comme l'a noté Jane Martindale. Selon le Normand Guillaume de Poitiers, Juste au dessus des gregarii, "en groupe", prennent place les "chevaliers de moyenne noblesse", milites media nobilitatis : les premiers constituent dès lors, implicitement, une "basse" noblesse autant qu'une chevalerie roturière. Et quand paraissent des "chevaliers-serfs", leur condition paradoxale marque la revanche du concret sur la théorie ; en elle la chevalerie représente la noblesse... En d'autres termes, les limites inférieures de la chevalerie n'ont pas plus de nettetés que celles de la noblesse : un équipement restreint et sans éclat, une légitimité sociale douteuse, un adoubement mal cautionné font une demi chevalerie, une noblesse interlope."
"Le concile de Saint-Gilles connaît des milites majores et minores, et Orderic Vital oppose les gregarii et precipui, tandis que Guillaume de Poitiers préfère décrire trois niveaux : pour lui, les gregarii forme le "commun des chevaliers" (vulgus militium)."
"Le Domesday Book évoque d'ailleurs l'existence de "chevaliers anglais" (milites angli), qui se caractérisent par de toutes petites dotations foncières."
"Sur la base des diverses manières d'obtenir et de conserver ses armes, en fonction à la fois des biens détenus, des rapports féodaux-vassaliques, de la fréquence relative de l'usage de armes, Jean Scammell parvient ainsi à distinguer une dizaine de niveaux de milites, du vassal possédant ses armes jusqu'à de purs mercenaires, en passant entre autres par des ruraux occasionnellement armés."
"Ce qu'on peut déduire de ces diverses observations est d'une part que le château joue un rôle essentiel dans l'évolution de la nomenclature - et donc probablement dans la structuration sociale. D'autre part on voit bien se dessiner une catégorie intermédiaire, au dessous des représentants direct du pouvoir royal (ducs, comtes, marquis, etc...) la catégorie des maîtres de châteaux, appelés selon les lieux domini, nobiles, principes, "demi-nobles", vavasseurs ou vavasseurs supérieurs, etc. Très rares sont les régions où tous le détenteurs de châteaux semblent ne pas être considérés comme nobiles. Au dessous d'eux, on trouve massivement des milites, ainsi que des milites gregarii souvent mal dégagés des ruraux astreints à un service militaire occasionnel (villani caballarii français ou léonais, pagenses equites normands, scutiferi italiens, vavassores anglais, et jusqu'aux militelli et milites modici qui apparaissent dans les sources polonaises de la fin du XIe), et qui ne sont recrutés qu'en cas de guerre (comme le prévoit explicitement certains serments catalans).
Le Domesday Book mentionne ainsi quelques 500 milites, dont beaucoup sont crédités d'une dotation en terres à peine supérieure à celle des paysans riches. Même incertitude sur la base de la pyramide aristocratique en Catalogne, où les milites sont souvent issus de la frange supérieure de la paysannerie alleutière qui suivait le comte à la guerre vers 1000 (des milites aloders sont encore mentionnés en Cerdagne en 1078/95)."
"la mise en place du système castral à inéluctablement modifié les structures sociales locales en liaison avec le château. la différenciation sociale par le biais du château, déjà évoquée, se traduit par le fait que des membres inférieurs de l’aristocratie de l'époque carolingienne sont devenus des milites des châtelains. Autours de ceux-ci ils trouvent aussi des hommes, issus du milieu des gros alleutiers avec cheval, qui pratiquaient traditionnellement la guerre, mais occasionnellement à côté de leurs activités agricoles dominantes."
Orderic Vitalis, writing about the same time, noted a similar division in Normandy between local barons (barones) and simple landed knights (modesti milites, milites pagenses).
L'apport le plus connu que nous ayons à ce sujet est le site archéologique du Lac de Paladru, habitat des fameux "Chevaliers-paysans de l'an Mil".
"Nous sommes en l'an 1008, peut-être 1010, de l'ère chrétienne. Une troupe se fraie difficilement un passage sur le territoire de l'actuel département de l'Isère. Les femmes sont accompagnées d'enfants ; les hommes, en armes, montent à cheval tandis que d'autres mènent à grand bruit cochons, chèvres et vaches. Dans les charrettes se trouve tout le matériel pour vivre. Une aventure qui les mènera jusqu'aux rives boisées du lac de Paladru."
"Chevaliers et Chateaux Forts", Collectif.
Concile de Paix à Verdun-Sur-Le-Doubs, 1016 :
"Les participants jurèrent de ne pas "enfreindre" les église, et de ne pas les piller, de ne pas attaquer un clerc ou un moine sans armes, de ne pas voler le bétail ni rançonner les paysans et les marchands, de ne pas enlever les chevaux lorsqu'ils sont en paturage, ni même un "chevalier" lorsqu'il est en train de labourer son champ."
Jean Flori : "Chevaliers et Chevalerie au M.A".
"Le fait est qu'après les avoir longtemps ignorés, on commence à apercevoir un peu partout des milites de niveau bien mediocre, libres ou non, malgré les faibles traces qu'ils laissent dans les
textes et les chartes, à cause, précisément de leur niveau social peu élevé."
"C'est le cas de ces milites du Lac de Paladru, au début du XIe, "paysans-chevaliers, colons armés au statut mal défini", se livrant à des activités variées : agriculture, élevage, pêche,
artisanat, mais aussi guerre à cheval, et dont on peut se demander s'ils ne sont pas à rapprocher de ces villani caballarii qu'évoque aussi, en 1025, le concile d'Anse. Ces guerriers-là ont pu
profiter d'une certaine "anarchie" et imposer à quelques paysans du voisinage la protection-exploitation de leurs armes; leur statut social demeure pourtant très humble, et plus encore leur
puissance économique.
A la fin du XIe, un moine de Saint-Étienne de Caen, dans une interpolation à l'Histoire des ducs de Normandie de Guillaume de Jumièges, rapporte une largesse du duc Robert à un miles qui, trop
pauvre, n'avait même pas de quoi donner à l'offrande de la messe. Celui-ci avait pourtant un statut "officiel" et il était reconnu comme miles par le duc.
Orderic Vital fait allusion à la présence dans les armées du roi, de 3000 chevaliers-paysans (pagenses milites) qui pourraient être des petits chevaliers chasés bien éloignés de la
noblesse.
En divers lieux, des textes de toutes sortes signalent au passage l'existence de chevaliers qui se situent à des niveaux proches de la paysannerie dont ils sont très probablement issus. Ils ne
s'en distinguent que par leur profession : le métiers des armes. s'ils viennent à ne plus pouvoir l'exercer par suite de l'age, de la maladie, de la perte de leur équipement, ils cessent par là
même d'être des milites et retournent à la paysannerie"
Guigonnet, chevalier et paysan
publié dans Les Collections de L'Histoire n° 16 - 07/2002
« A Germolles, la maison qu'il habite n'est pas une «tour», car le simple chevalier du XIIe siècle n'a pas de château, ni même de maison forte ; c'est un centre de travail agricole peuplé de
serviteurs et de servantes, garni du bétail nécessaire au labour, et qui abrite le vin et le blé récoltés dans l'année sur les condemines et dans le clos ; bref, c'est un « manse » comme les
autres, plus grand seulement et mieux pourvu. Et, en vérité, Guigonnet est d'abord un paysan plus riche. Il se mêle aux villageois ; il n'est ni leur maître, ni leur juge, ni le gardien de leurs
récoltes [...] ; comme eux, il s'intéresse aux caprices du temps, car si la saison est mauvaise, il vivra comme eux dans la gêne ; nonchalante en hiver, tendue et soucieuse aux jours de fenaison,
de moisson et de vendange, son existence est rythmée par le calendrier agricole.
« Pourtant, Guigonnet est un paysan qui, de temps en temps, mène une autre vie. Mieux secondé, plus à l'aise, il peut, abandonnant le labour champêtre, s'installer pour une huitaine, comme ses
amis les chevaliers et les prêtres nobles, dans un refuge au milieu des grandes forêts beaujolaises et poursuivre à l'épieu la grosse bête ; il n'est pas seulement paroissien de Germolles, mais
aussi confrère de l'hôpital d'Aigueperse, où il retrouve périodiquement les hobereaux du voisinage, membres comme lui de cette aristocratique association de charité. Enfin et surtout, il peut
quand il le veut monter le bon cheval qu'il a payé fort cher et partir au combat. »
(Georges Duby, La Société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise , Paris, A. Colin, 1953, rééd. EHESS, 1971, rééd. Flammarion, 2002.)